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Contemporary Art Club : les sociétaires de l'art


Par Jérôme Poggi

Créé il y a près de dix ans par le jeune collectionneur Charles Guyot et sa soeur Victoire, le Contemporary Art Club (CAC) est une association unique en son genre dont les membres ont comme principal trait commun d’être (presque) tous diplômés de grandes Écoles (HEC, ESSEC, Sciences Po, Polytechnique, Centrale, etc.). L’autre particularité qui les réunit est leur curiosité pour l’art. Une curiosité active qui dépasse le simple désir de se cultiver, mais témoigne d’une volonté de se hisser sur la scène de l’art et de ne pas seulement en être les spectateurs.


Jean de Loisy et Charles Guyot accueillant des membres du CAC
dans le cadre de l’exposition « Philippe Parreno » au Palais de Tokyo.
© Contemporary Art Club.
On aurait d’ailleurs aimé les appeler les actionnaires de l’art, non pas ceux du CAC 40 car le jeu de mot avec leur acronyme aurait été trop facile, mais ceux que Gustave Courbet a représentés dans son Atelier du peintre aux côtés de Baudelaire, Proudhon et Bruyas sous les traits d’un couple d’amateurs d’art anonymes : « Ce sont mes actionnaires », écrivait le peintre réaliste dans une lettre à Champfleury, « c’est-à-dire ceux qui participent à mon action »… À travers cette peinture manifeste et allégorique, Courbet militait pour une esthétique relationnelle avant l’heure, encourageant un rapport à l’art non passif et contemplatif esthétiquement parlant, mais engagé et actif, socialement et économiquement.

L'Université du XXIe siècle doit faire appel aux artistes contemporains


Par Jérôme Poggi

Longtemps tenue en marge du système culturel, l’université française pourrait-elle en devenir le centre, pour reprendre la formule par laquelle Frédéric Martel a mis en évidence le rôle central des campus américains dans l’édification de la puissance culturelle transatlantique ?

L’art contemporain doit jouer un rôle fondamental au sein des espaces académiques, dans une perspective non seulement pédagogique mais aussi symbolique et stratégique. Pédagogique d’abord, nul ne pouvant faire l'impasse sur un outil aussi puissant que l'art contemporain pour appréhender le monde d'aujourd'hui et de demain dans toute sa complexité, pour interroger, deviner, sinon comprendre la société dans laquelle nous vivons et inventer son avenir. Pour une population d'étudiants, de chercheurs et d'enseignants atteignant un niveau d'études et de recherche aussi élevé, et appelés à occuper des responsabilités futures importantes pour la société, l'art est une nécessité en tant que stimulation et développement intellectuel qui exige de mettre en relation la sphère universitaire avec celle artistique la plus élevée.

Symbolique ensuite tant les institutions françaises d'enseignement supérieur souffrent d'un déficit d'image manifeste dans un contexte mondialisé de plus en plus concurrentiel. Est-ce vraiment un hasard si les meilleures universités du classement de Shanghai sont aussi les plus pourvues en art ? Leur ambition et leur excellence sautent littéralement aux yeux quand on traverse leur campus. Nul besoin de long discours pour saisir l'intelligence qui y règne. Elle s'incarne de façon tangible et visible dans leur environnement physique et symbolique. A l'heure où l'enseignement supérieur français connaît une révolution sans précédent, ses institutions sont confrontées à des questions d'identité nouvelles, nécessitant le renouvellement de leurs codes de représentation symboliques et rituels que des artistes peuvent réinventer de façon fulgurante, qu'ils soient plasticiens, architectes, designers, écrivains, chorégraphes, metteurs en scène, musiciens. L'université du XXIsiècle doit faire appel aux artistes contemporains pour fonder non pas seulement son image, mais aussi donner forme à son identité même.

"Art contemporain et l'Ecole Centrale, des valeurs communes", par Hervé Biausser (directeur de l'Ecole Centrale Paris)

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En initiant sa propre collection d’art contemporain, l’Ecole Centrale Paris a une fois de plus apporté les preuves de son esprit avant-gardiste et devancé une tendance qui devrait s’affirmer dans les prochaines années. L’art est en effet inscrit dans les gènes de l’École Centrale Paris, qui a toujours encouragé la créativité de ses étudiants et délivré des figures artistiques majeures, la plus emblématique étant bien sûr Boris Vian. Le Bureau des Arts, qui organise le plus important festival de théâtre inter-étudiant d’Ile-de-France, compte également parmi les associations phares de notre École.

Récemment, à l’heure où le ministère de la Culture et de la Communication réfléchit à un plan de sensibilisation des Grandes Ecoles à l’art contemporain, quelques centraliens, collectionneurs et amateurs d’art, ont eu l’idée de créer un groupement art contemporain au sein de l’association des Centraliens. Ce groupement d’art contemporain s’inscrit donc à la fois dans la tradition centralienne et dans une profonde modernité, considérant que la communauté centralienne ne peut faire l’impasse sur un indicateur aussi puissant que l’art, qui permet de comprendre le monde dans lequel nous vivons et le tournant majeur où se trouve aujourd’hui notre civilisation.

L’idée de cette « photo de promo » est en ce sens des plus novatrices et emblématiques de l’intégration de l’art dans notre environnement spécifique de Grande École, car elle permet à notre communauté centralienne, en faisant chaque année appel à l’un des grands noms de la scène de l’art internationale, d’afficher une ambition intellectuelle aussi élevée que l’ambition scientifique qui nous caractérise. La promotion 2010 peut ainsi être fière d’inaugurer cette collection en confiant son image, son histoire, sa vision du campus de Châtenay-Malabry au photographe plasticien Jean-Marc Bustamante, qui a su cristalliser l’esprit du lieu où ils sont devenus et ont vécu Centraliens.

C’est donc avec beaucoup de plaisir et d’émotion que je remets aujourd’hui à chacun des élèves de cette promotion une édition originale et numérotée de Lumières 01.10, dont le tirage de tête en grand format sera également exposé durant un an dans les salons de la Maison des Centraliens avant de rejoindre le campus de l’Ecole et de laisser place à la « photo de promo 2011».

Quel sera l’artiste sollicité par cette promotion ? Nous ne le savons pas encore. Mais il est certain qu’il viendra enrichir une collection qui épouse les valeurs communes de l’art contemporain et de l’École Centrale Paris – l’innovation, la prospection, l’audace – et qui nous permettra petit à petit de rivaliser avec les meilleures universités internationales, dont les campus ressemblent souvent à de véritables musées.

Entretien avec Jean-Marc Bustamante, par Jérôme Poggi

+ QUELLE IMAGE AVIEZ-VOUS DE L’ECOLE CENTRALE AVANT CETTE COMMANDE ?

Jean-Marc Bustamante (à gauche)
visitant le campus de l’Ecole avec des étudiants
commanditaires de la P2010
Centrale représente en quelque sorte tout l’univers de l’ingénieur que je ne connais pas, qui revêt à mes yeux un caractère mystérieux, et en même temps essentiel dans la société. Tout comme les ingénieurs sont généralement impressionnés par les architectes, et les architectes par les artistes, je suis personnellement impressionné par le métier de l’ingénieur, à la fois obscur et indispensable. Quand on m’a proposé cette commande, j’ai trouvé formidable qu’il puisse y avoir à un moment donné une relation entre la visibilité de l’art et l’humilité de l’ingénieur. Ce n’était pas évident que des ingénieurs, qui sont plutôt des hommes de l’ombre, s’intéressent à l’art et qu’il y ait cette possibilité de convergence.

QUELLE A ÉTÉ VOTRE IMPRESSION LORS DE VOTRE PREMIÈRE VISITE DU CAMPUS DE L’ECOLE À CHÂTENAY-MALABRY AVEC LE GROUPE D’ÉTUDIANTS COMMANDITAIRES ?
Je n’ai pas été très étonné finalement par l’architecture et l’ordonnancement assez maîtrisé du lieu. L’Ecole Centrale correspond à des architectures d’ingénieurs, avec une volonté manifeste d’être efficace sans perdre du temps dans l’ornemental et la décoration. Ce sont des espaces géométriques et utiles. J’ai été frappé par la lisibilité du lieu où les fonctions sont réparties clairement sur le campus avec d’un côté un bâtiment pour l’enseignement, de l’autre les laboratoires de recherches, l’administration, la résidence des élèves, le restaurant universitaire, le terrain de sport et le gymnase. Le tout relié par de clairs chemins qui desservent chacun de ces lieux. C’est tout le contraire de l’Ecole des Beaux-arts de Paris où j’enseigne depuis plusieurs années, qui est un assemblage de différents styles, de plusieurs couches d’histoire, assez labyrinthique. Ce qui m’a surtout surpris, c’est que j’ai vu dans ces bâtiments les thèmes et les sujets que j’avais utilisés dans mes Lumières. C’est une série que j’ai commencée en 1987 qui consistait à partir d’images d’écoles et d’édifices publics trouvées dans des livres, de les photographier, de les agrandir et de les sérigraphier sur plexiglas pour qu’elles prennent une toute autre présence devant le mur. On se trouve alors face à un objet un peu hybride entre la photographie, l’objet et la sculpture. Cela vient de souvenirs d’enfance quand, petit, on a une relation à l’espace particulière. On est alors un peu pris par les constructions. Quand j’ai visité le campus, je me suis tout à coup retrouvé confronté en réel au sujet de mes oeuvres précédentes. On aurait dit des Lumières en vrai. J’ai voulu boucler la boucle et faire moi-même la photographie de Lumière en utilisant le même dispositif.

"Lumières 01.10", par Garance Chabert, critique d'art

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Depuis la fin du XIXe siècle, la photographie de classe incarne le paradigme de la représentation scolaire. Des maternelles aux grandes écoles, elle témoigne du passage et de l’ascension de l’élève dans l’institution républicaine, dont elle incarne par delà les générations la continuité, tout en offrant à l’élève un souvenir de son appartenance à cette communauté. La force du symbole explique sans doute la représentation normative et immuable de la photographie de classe, sa monotonie narrative étant un gage de stabilité et de tradition. À rebours de cette esthétique fonctionnelle, l’École Centrale a initié un programme de commande d’œuvres d’art à des artistes contemporains, invités à proposer un autre regard sur la photographie de classe. 
 
La réussite d’un projet de production résulte du subtil équilibre entre les attentes du commanditaire et la capacité de l’artiste à s’appuyer sur les contraintes de la commande pour réaliser une œuvre qui prolonge et renouvelle les propres questionnements de son travail.  La pièce qu’a conçue Jean-Marc Bustamante, premier convié à participer à ce programme, répond précisément à cette exigence. Appartenant par son titre et la technique employée à la série des Lumières, la photographie du campus de Centrale à Chatenay-Malabry en propose une nouvelle variante inédite, renouant avec l’esthétique de ses Tableaux photographiques. 

"Une œuvre à la croisée de nos chemins", par Rachad Al Khoury (délégué de la promotion 2010)

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Inauguration de la Photo de promo à l’Association des Centraliens en Juin
2011. De gauche à droite : Camille Chardonnet (P 2010), commanditaire,
Jérôme Poggi (94), médiateur pour la Fondation de France, Jeannette
Bougrab, Secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative,
Marc Ventre, président de l’association des Centraliens, Dominique Lemaître,
directrice du mécénat de la Fondation de France, Hervé Biausser (73),
directeur de l’ECP.
A l’initiative de quelques uns d’entre nous, la promotion 2010 a souhaité marquer son passage à l’Ecole par un projet artistique d’une grande portée symbolique et médiatique qui prend la forme d’une photographie commandée à un des photographes français les plus réputés aujourd’hui sur la scène de l’art international : Jean-Marc Bustamante. Sans remplacer la traditionnelle photographie de groupe que nous avons faite lors de la cérémonie de remise des diplômes, cette “photographie de promo” cristallise à travers une oeuvre d’art contemporain le temps commun passé sur le campus de Châtenay-Malabry. Ce campus, s’il est peu spectaculaire au premier regard, est néanmoins celui où nous avons vécu, étudié, pensé et agi ensemble pendant plusieurs années. Il est ce “lieu commun” où sommes devenus centraliens, tous ensemble à travers l’enseignement que nous avons suivi et les projets collectivement menés. Plus qu’aucun autre symbole abstrait dans lequel se reconnaîtrait l’esprit de notre promotion ou qu’aucun portrait de groupe, il nous a semblé important que ce soit notre campus qui offre un visage, son trait de caractère, à notre promotion. Plusieurs visites avec des camarades de notre promotion ont permis à Jean-Marc Bustamante de saisir l’esprit de ce lieu dans une série de clichés dont un en particulier a été choisi pour cette première “photo de promo”. Chacun d’entre nous y aura reconnu le chemin employé quotidiennement pour nous mener de la résidence des élèves à l’éternel «Bat’ens». C’est le chemin à la croisée, selon les sensibilités de chacun, du terrain de rugby et des courts de tennis, des pelouses où se cotoyaient jongleurs et flâneurs, des salles de musique, ou encore le chemin qui au début du printemps nous menait vers le Gala de l’Ecole.

Mais c’est aussi le chemin qui nous ramenait du bat’ens vers notre chère résidence, la «Rez», sa vie associative riche et variée, ses étages où se sont forgées les amitiés les plus fortes et durables. En passant commande d’une oeuvre à un des grands artistes de notre époque, nous avons voulu rendre visible l’esprit de recherche et d’excellence qui anime l’Ecole, donner forme aux valeurs qui distinguent notre communauté mais aussi offrir en partage à chacun d’entre nous un symbole unique et fort dans lequel se reconnaîtra notre promotion à l’avenir. Outre un tirage de tête de grand format que conservera l’Ecole, une édition numérotée et signée de cette oeuvre est aujourd’hui offerte à chacun d’entre nous, diplômés de la P2010.

La photo de promo de l'Ecole Centrale de Paris

Par Jérôme Poggi, médiateur de la commande "Nouveaux commanditaires"


Regrettant le décalage entre la pauvreté formelle des habituelles "photos de promo" réalisées lors des cérémonie de remise des diplômes et leur forte charge symbolique, des étudiants de l'Ecole Centrale décident de commander une œuvre à un artiste, incarnant l'esprit de leur promotion. Dans le cadre de l'action des "Nouveaux commanditaires", le critique d'art Jérôme Poggi leur propose de commander à Jean-Marc Bustamante une photographie de leur campus. Ce dernier réalise une oeuvre de la série "Lumière", aujourd'hui exposée à l'Ecole Centrale, dont une édition originale, numérotée et signée, est offerte à chacun des diplômés de la promotion 2010.
 
Jean-Marc Bustamante, Photo de promo, Ecole Centrale Paris, 2010, courtesy Objet de production

Parce qu’il répond au besoin de cristallisation qu’éprouve tout être humain aux points culminants de son existence - et il faut souhaiter que ceux-ci soient aussi nombreux que possible - l’art est une nécessité que chacun peut ressentir à tout moment dans sa vie, privée ou publique, qu’il soit scientifique ou littéraire, idéaliste ou matérialiste, passionné d’art ou de sport, de management ou de nouvelles technologies. Au-delà de la seule échelle individuelle, un tel besoin en art est essentiel également pour toute entité morale - école, entreprise ou collectivité – afin de donner forme et apparence à un corps d’idées, à un projet commun et à une ambition partagée, trouvant à s’incarner dans un symbole visible et transmissible.

Art, Culture et Enseignement supérieur, par Jean-Miguel Pire


Par Jean-Miguel Pire


La transversalité au service d'un nouvel humanisme



En 1983, la loi Savary donne pour tâche aux établissements publics à caractère culturel, scientifique et professionnel – qu’il s’agisse d’universités ou de grandes écoles – d’assurer une fonction de « diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique[1] ». Mais, bien avant cette réforme, la culture possède une place de choix à l’université qui, dans son essence, est le lieu même du savoir – celui de sa production et de sa transmission. La mission culturelle de l’université ne fait donc aucun doute. Au cours des trente dernières années, de profondes réformes ont ainsi progressivement revalorisé la fonction d’acteur culturel que se doit de tenir un établissement d’enseignement supérieur, tant pour ce qui regarde les étudiant qu’elle accueille, que le territoire où elle s’enracine. Outre l’enrichissement individuel qu’apportent les pratiques et productions artistiques, l’art est un moyen puissant de construire une identité commune à une collectivité, qu’elle soit universitaire ou non. Enfin, l’évolution de la législation tend à montrer la convergence politique vers une formation plus large, faisant passer l’art et la culture du statut d’addendum à la formation à celui de fondement de la spécialisation.



Plaidoyer pour de belles universités, par Thomas Schlesser

L’une des tâches les plus prestigieuses pour un architecte consiste à ériger un bâtiment culturel ou du moins y « apporter sa touche », comme l’on dit. Tandis que la superstar Jean Nouvel doit livrer prochainement sa gargantuesque Philarmonie de Paris, c’est le savoir-faire du bouillant et brillant Rudy Ricciotti qui semble connaître en ce moment un énorme engouement avec les signatures, tour à tour, du département des arts de l’Islam au Louvre, du musée Cocteau à Menton et du MUCEM à Marseille. Dans l’ensemble, ces écrins sont remarquables. Ils ne suscitent d’ailleurs plus les querelles entre anciens et modernes qui sévissaient dans les années 1970-1980. Et la France n’a pas à se plaindre de son aura dans le monde en termes de patrimoine, de création, et encore moins d’industrie touristique et culturelle, quoi qu’on pense de celle-ci.

Elle tire en revanche la langue dans un domaine voisin ou cousin : la performance de ses institutions académiques. Le fameux classement de Shanghai, si discutable soit-il quant à ses critères, égratigne chaque année l’orgueil hexagonal en promouvant invariablement une écrasante domination des Etats-Unis, à peine nuancée, dans le haut du classement, par les poussées d’Oxford et de Cambridge. Le Japon et la Suisse tempèrent également un peu cette hégémonie mais la surpuissance américaine ne souffre guère de contestation.