CentraleSupélec fait peau neuve


Inaugurés à la rentrée de septembre 2017, les deux nouveaux bâtiments du Campus CentraleSupélec de Gif-sur-Yvette sont le fruit d’un appel à projet remporté par l’agence néerlandaise Office for Metropolitan Architecture dirigé par Rem Koolhaas, et d’un partenariat privé regroupant les groupes Bouygues Bâtiments Ile de France, Bouygues Energies et Services, HICL Infrastructure et l’agence d’architecture Suisse Gigon Guyer.
 
CentraleSupélec, Batîment Bouygues,Gif-sur-Yevette
CentraleSupélec compte quatre campus à Metz, Rennes, Pomacle et Gif-sur-Yvette qui accueillent des activités d’enseignement supérieur et de recherche à caractère scientifique, culturel et professionnel. Aujourd’hui, de nombreuses universités et établissements d’enseignement supérieur français s’inspirent du modèle des grands campus internationaux qui proposent aux étudiants de multiples aménagements, services et infrastructures où l’on pratique des activités aussi variées que l’étude, la culture, le sport et on partage des savoir-faire.                           
Car nul doute que le défi qui consiste à repenser l’ancrage et l’investissement des étudiants, des chercheurs, des enseignants chercheurs et du personnel au sein l’université, doit passer par une revalorisation du territoire universitaire lui-même. Et que cette revalorisation doit se faire la promesse d’un design d’expérience qualitatif, capable de créer du lien social ainsi qu’un sentiment d’appartenance à une communauté. On pense ici au NTU de Singapour qui accueille environ 32 500 étudiants et offre un modèle de campus exemplaire en matière environnementale, avec la stratégie EcoCampus dont l’objectif est de diminuer de 35% la consommation en eau et en énergie, l'empreinte carbone et la production de déchets d'ici à 2020. Ou encore au Stratford Campus canadien, avec son grand mur de verre transparent ouvert sur la rue pour que la communauté puisse observer étudiants et professeurs au quotidien, et qui possède par ailleurs un des équipement les plus pointus en matière de numérique du pays.

En choisissant les agences Office for Metropolitan Architecture (OMA) pour le bâtiment Eiffel, et Gigon Guyer pour le bâtiment Bouygues, et en imaginant les constructions selon les principes d’« hybridation », de « densité », de « sérendipité » et de « flexibilité »*, il semblerait que CentraleSupélec s’engage à son tour dans la voie de l’innovation technologique et pédagogique. Le bâtiment Eiffel d’environ 48 000 m2 est conçu comme un lieu de travail, de vie et d’échange qui accueillent des espaces d’enseignement et de travail collaboratifs. On y trouve un auditorium, des amphithéâtre, l’espace de la vie associative étudiante, un coin restauration. Le bâtiment Bouygues s’étend sur 25 000 m2 et accueille des activités d’enseignement et de recherche, mais aussi des espaces mutualisés à l’échelle du quartier : deux gymnases, un dojo, plusieurs salles de sport, des salles d’enseignement, un DesignLab, et des locaux associatifs dédiés aux pratiques culturelles.

Le parti pris d’une architecture spacieuse, l’utilisation de plafonds vitrés qui laissent pénétrer la lumière ou encore l'intégration de végétaux au sein des espaces intérieurs, en font des lieux résolument modernes,  propices à la convivialité, au partage et la rencontre interdisciplinaire. Reste à voir avec le temps, si CentraleSupélec parviendra à asseoir son ambition citoyenne : s'implanter comme le troisième quartier de Gif et travailler main dans la main avec les habitants de la ville.

 

*(Hervé Biausser, directeur de Centrale Supélec)


Jeanne Turpault  

Le SCAD à Lacoste : une intégration par l'enseignement supérieur


Le très réputé Savannah College of Art and Design (SCAD) a trouvé un point d'atterrissage insolite, en choisissant de venir implanter en 2002 une partie de son campus, dans le médiéval petit village de Lacoste situé au cœur du Lubéron.


Née en 1978 dans le quartier historique de Savannah en Géorgie aux États-Unis, cette école d'excellence s’impose aujourd'hui dans le paysage universitaire américain comme un établissement de référence en matière de beaux-arts, d’art appliqué et de design. Son esprit innovant se manifeste par la mise en œuvre d’un environnement prospère, où méthodes d’enseignements et technologies de pointes se rencontrent quotidiennement pour générer de     nouvelles dynamiques créatives et champs de connaissances. Au cœur de cette philosophie, on retrouve les principes de coopération et de positivisme, et le slogan “can-do” qui rappelle les valeurs de l'entreprenariat chères au mode d’éducation américain. 

Le SCAD à Lacoste n'est cependant pas un phénomène isolé. Depuis une quinzaine d'années, les plus prestigieuses universités américaines - Columbia, Chicago, New-York ou Boston - intensifient leur présence dans l'Hexagone, et cette volonté d’extension trouve son origine dans deux phénomènes qui l’un dans l’autre se répondent et participent à la valorisation des vertus du modèle d'enseignement supérieur américain. Depuis les attentats de 2001, les États-Unis ont recours à des mesures de sécurité drastiques sur leur sol, appliquant une politique restrictive d’accueil des étrangers qui a pour conséquence la réduction du taux d'étudiants internationaux sur leur territoire. La réponse à ce manque se traduit par un mouvement progressif de délocalisation des campus en outremer, permettant aux membres du corps universitaire d'embrasser la culture et le patrimoine historique européen tout en implantant les spécificités d'un système éducatif opposé au nôtre ; basé sur l’engagement du secteur privé, les initiatives indépendantes, et l'adoption d'un "modèle marchand" compétitif. 

A en croire les témoignages des populations locales, la présence de cet établissement et les enseignements qui y sont dispensés s’avèrent de formidables sources d'inspiration et de redynamisation pour ce territoire français géographiquement enclavé.
Dès l'arrivée du Savannah College of Arts et Design à Lacoste, un contrat est passé entre les deux acteurs : tandis que le village met à disposition aux étudiants et au personnel de l'école une trentaine de bâtiment datant des XII, XIV et XVIème siècles pour travailler et vivre, ceux-ci s'engagent en retour à mener en collaboration avec la municipalité tout un programme de conservation et de rénovation de ces mêmes bâtiments. Échange de bons procédés donc qui responsabilise à la fois les étudiants du SCAD en les impliquant dans la gestion quotidienne d'un site classé au patrimoine de l'UNESCO, et qui génère de nouvelles formes d'interactions artistiques et culturelles avec habitants de la commune : co-création d'un festival d'opéra et de théâtre, rencontre avec des artistes internationaux de premier plan, création d'emplois au sein de l'école.

Valorisation publique de deux entités, brassage culturel fort, création d'emplois pour les habitants ; les bénéfices de la présence de SCAD pour ce petit village du Vaucluse sont significatifs de la richesse que ces échanges interculturels incarnent, et révèle l'urgence de les conserver. 


Jeanne Turpault  




Le Bard College, au diapason de la réalité

Par Jérôme Poggi
 
Au premier regard, le Bard College ressemble à la plupart des campus universitaires américains, perdu au milieu d’un paysage extraordinaire dans la vallée de l’Hudson, à deux heures de Manhattan. La visite de ses 240 hectares révèle pourtant un modèle universitaire unique, valant à cette prestigieuse institution une réputation progressiste depuis sa création en 1860.
Olafur Eliasson, Le Parlement de la Réalité, 2009, commande du CCS du Bard College, New York. Photo : D. R.
En arrivant depuis la gare de Poughkeepsie, le visiteur traversera peut-être le cimetière boisé de l’université où, parmi des personnalités émérites, repose la philosophe d’origine allemande Hannah Arendt dont l’esprit continue de planer sur le campus, entretenu par le Hannah Arendt Center For Politics And Humanities. Un peu plus loin, il apercevra des étudiants cultivant eux-mêmes un vaste jardin potager, biologique bien sûr, dont la production est vendue au restaurant universitaire pour nourrir une communauté de près de 2 500 élèves et chercheurs, oeuvrant dans tous les champs des arts libéraux, de la biologie et des mathématiques jusqu’à la finance et la sociologie. Sans oublier les arts qui constituent un des fers de lance de l’institution. Situé au bord de l’Hudson, le prestigieux Center for Curatorial Studies and Art in Contemporary Culture (CCS) que dirige aujourd’hui Tom Eccles, est ainsi l’une des premières formations curatoriales au monde, à la fois par son antériorité (1990), par son influence et ses moyens. Le musée Hessel (1 500 m2) qui le jouxte abrite une collection riche de 1 700 oeuvres d’art contemporain que Marieluise Hessel, une des fondatrices du CCS, a offerte au Bard College pour allier la pratique à la théorie curatoriale. Les futurs commissaires peuvent s’y mesurer aux oeuvres directement, devant organiser un projet à partir de la collection dans le cadre de leur cursus universitaire, comme en témoignent les trois expositions en cours.

Sainsbury Centre For Visual Arts : un monument

Par Jérôme Poggi
 
La Grande-Bretagne compte une centaine de musées universitaires qui jouent un rôle essentiel dans la vie culturelle du pays. À côté d’institutions aussi vénérables que l’Ashmolean Museum de l’université d’Oxford, plus vieux musée universitaire au monde créé dès 1683, de jeunes universités anglaises sont parvenues en quelques années à se doter elles aussi d’institutions culturelles de premier plan. 

Sainsbury Centre for Visual Arts, Museums Galleries à Norwich.
Photo : D. R.
C’est le cas de l’Université d’East Anglia créée à quelques kilomètres de Norwich en 1963 seulement, soit un peu plus de neuf siècles après la fondation de l’Université d’Oxford. Elle n’a pourtant pas attendu aussi longtemps pour se doter d’un musée, née de la générosité d’un couple de collectionneurs. En 1973, Sir Robert et Lady Sainsbury firent don de leur collection à l’Université, avec l’idée « d’offrir aux étudiants, enseignants et au public l’opportunité de fréquenter les oeuvres intimement, de la même façon qu’eux-mêmes le firent chez eux, sans lourdeur muséale excessive ». Parallèlement, leur fils fit don d’une somme permettant de construire un bâtiment et de financer son fonctionnement. Coup de maître, c’est au jeune Norman Foster que la commande fut passée. Le futur Prix Pritzker y signa son premier bâtiment public, inauguré en 1978, non loin des fameuses ziggourats de l’architecte Denys Lasdun qui hébergent les étudiants dans de remarquables bâtiments en terrasses tout de béton et de verre. 

Contemporary Art Club : les sociétaires de l'art


Par Jérôme Poggi

Créé il y a près de dix ans par le jeune collectionneur Charles Guyot et sa soeur Victoire, le Contemporary Art Club (CAC) est une association unique en son genre dont les membres ont comme principal trait commun d’être (presque) tous diplômés de grandes Écoles (HEC, ESSEC, Sciences Po, Polytechnique, Centrale, etc.). L’autre particularité qui les réunit est leur curiosité pour l’art. Une curiosité active qui dépasse le simple désir de se cultiver, mais témoigne d’une volonté de se hisser sur la scène de l’art et de ne pas seulement en être les spectateurs.


Jean de Loisy et Charles Guyot accueillant des membres du CAC
dans le cadre de l’exposition « Philippe Parreno » au Palais de Tokyo.
© Contemporary Art Club.
On aurait d’ailleurs aimé les appeler les actionnaires de l’art, non pas ceux du CAC 40 car le jeu de mot avec leur acronyme aurait été trop facile, mais ceux que Gustave Courbet a représentés dans son Atelier du peintre aux côtés de Baudelaire, Proudhon et Bruyas sous les traits d’un couple d’amateurs d’art anonymes : « Ce sont mes actionnaires », écrivait le peintre réaliste dans une lettre à Champfleury, « c’est-à-dire ceux qui participent à mon action »… À travers cette peinture manifeste et allégorique, Courbet militait pour une esthétique relationnelle avant l’heure, encourageant un rapport à l’art non passif et contemplatif esthétiquement parlant, mais engagé et actif, socialement et économiquement.

La voie indienne

Par Jérôme Poggi

Au pied des pentes naissantes de l’Himalaya, c’est à Chandigarh que se rencontrent le modernisme occidental et la civilisation indienne la plus séculaire.

Créée au début des années années 1950 suite à la partition entre l’Inde et le Pakistan, Chandigarh est une ville nouvelle que Nehru a commandée à Le Corbusier. Ce dernier y réalise avec son cousin Pierre Jeanneret une oeuvre majeure de l’urbanisme moderne. S’il signe le plan global de la ville et ses bâtiments les plus emblématiques tels que le Parlement, le musée ou l’École des beaux-arts, Le Corbusier laisse à son cousin et fidèle collaborateur le soin de dessiner et construire l’Université du Penjab. Fonctionnaliste à l’image de la ville tout entière de Chandigarh, avec ses bâtiments en béton brut et ses allées perpendiculaires arborées, le campus gravite autour d’un des chefs-d’oeuvre de Jeanneret : le Ghandi Bhavan, centre d’étude sur l’oeuvre et la vie de Gandhi dont la plupart des universités indiennes sont aujourd’hui dotées. L’entrée de ce petit bâtiment, voisin du musée d’art de l’université dans lequel le célèbre historien de l’art B. N. Goswamy a réuni une collection significative d’art moderne indien, est surmontée de la devise préférée de Gandhi : « TRUTH IS GOD ». Plus encore que l’indéniable qualité architecturale du campus, la situation et la fonction de ce bâtiment incarnent symboliquement la place que la vie de l’esprit occupe dans le système universitaire indien.
Le Gandhi Bhavan de la Penjab University of Chandigarh,
vu depuis le musée de l’université. © Jérôme Poggi.

L'Université du XXIe siècle doit faire appel aux artistes contemporains


Par Jérôme Poggi

Longtemps tenue en marge du système culturel, l’université française pourrait-elle en devenir le centre, pour reprendre la formule par laquelle Frédéric Martel a mis en évidence le rôle central des campus américains dans l’édification de la puissance culturelle transatlantique ?

L’art contemporain doit jouer un rôle fondamental au sein des espaces académiques, dans une perspective non seulement pédagogique mais aussi symbolique et stratégique. Pédagogique d’abord, nul ne pouvant faire l'impasse sur un outil aussi puissant que l'art contemporain pour appréhender le monde d'aujourd'hui et de demain dans toute sa complexité, pour interroger, deviner, sinon comprendre la société dans laquelle nous vivons et inventer son avenir. Pour une population d'étudiants, de chercheurs et d'enseignants atteignant un niveau d'études et de recherche aussi élevé, et appelés à occuper des responsabilités futures importantes pour la société, l'art est une nécessité en tant que stimulation et développement intellectuel qui exige de mettre en relation la sphère universitaire avec celle artistique la plus élevée.

Symbolique ensuite tant les institutions françaises d'enseignement supérieur souffrent d'un déficit d'image manifeste dans un contexte mondialisé de plus en plus concurrentiel. Est-ce vraiment un hasard si les meilleures universités du classement de Shanghai sont aussi les plus pourvues en art ? Leur ambition et leur excellence sautent littéralement aux yeux quand on traverse leur campus. Nul besoin de long discours pour saisir l'intelligence qui y règne. Elle s'incarne de façon tangible et visible dans leur environnement physique et symbolique. A l'heure où l'enseignement supérieur français connaît une révolution sans précédent, ses institutions sont confrontées à des questions d'identité nouvelles, nécessitant le renouvellement de leurs codes de représentation symboliques et rituels que des artistes peuvent réinventer de façon fulgurante, qu'ils soient plasticiens, architectes, designers, écrivains, chorégraphes, metteurs en scène, musiciens. L'université du XXIsiècle doit faire appel aux artistes contemporains pour fonder non pas seulement son image, mais aussi donner forme à son identité même.

Armin Linke photographie Sciences Po : un travail d'exploration et de dévoilement

Jorge-Luis Borges décrivait le rangement d’une bibliothèque comme « une façon silencieuse d’exercer l’art de la critique ». Cette formule désigne bien entendu la critique littéraire, mais exprime également, à travers le terme « art », à quel point la bibliothèque est à la fois un cerveau et un cœur : archive des lettres et de la pensée, elle touche au résonnement et à l’émotion de celui qui la conçoit, qui la consulte, qui s’y perd. Un lieu de mémoire et d’affect donc, et cela d’autant plus quand elle se trouve au sein d’une université : la bibliothèque est alors un lieu de travail incomparable, mais aussi un symbole de la recherche et de la collecte d’informations qui unit promotions d’étudiants et chercheurs dans une même démarche.

Ainsi, pour la restructuration de la bibliothèque de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, en 2010, les architectes François Sahuc et Jean-Luc Katchoura (cabinet S&K) imaginèrent un espace de six nouvelles salles de lecture mêlant autonomie et convivialité, et incitant à l’appropriation des documents et des espaces de lectures par les étudiants. A cet effet, les deux architectes conçurent un ameublement modulable permettant de marier les espaces de recherche individuelle ou de consultation rapide à des lieux de travail en groupe. L’outil le plus représentatif de cette conception originale est un mur de livres de 500 mètres de long, visant à faciliter la consultation des documents archivés.

A l’occasion de l’ouverture de ces nouveaux espaces, l’administration de la bibliothèque a exprimé le souhait de voir leur institution s’inscrire plus pleinement dans le corps de l’école, en affirmant sa participation centrale aux activités de recherche de Sciences Po, et en l’inscrivant dans le programme de soutien à l’art contemporain initié par l’école depuis 2010. Le besoin se faisait sentir d’un objet symbolique et publique, partagé par les deux groupes occupant un même espace : le personnel de la bibliothèque et les étudiants.