Plaidoyer pour de belles universités, par Thomas Schlesser

L’une des tâches les plus prestigieuses pour un architecte consiste à ériger un bâtiment culturel ou du moins y « apporter sa touche », comme l’on dit. Tandis que la superstar Jean Nouvel doit livrer prochainement sa gargantuesque Philarmonie de Paris, c’est le savoir-faire du bouillant et brillant Rudy Ricciotti qui semble connaître en ce moment un énorme engouement avec les signatures, tour à tour, du département des arts de l’Islam au Louvre, du musée Cocteau à Menton et du MUCEM à Marseille. Dans l’ensemble, ces écrins sont remarquables. Ils ne suscitent d’ailleurs plus les querelles entre anciens et modernes qui sévissaient dans les années 1970-1980. Et la France n’a pas à se plaindre de son aura dans le monde en termes de patrimoine, de création, et encore moins d’industrie touristique et culturelle, quoi qu’on pense de celle-ci.

Elle tire en revanche la langue dans un domaine voisin ou cousin : la performance de ses institutions académiques. Le fameux classement de Shanghai, si discutable soit-il quant à ses critères, égratigne chaque année l’orgueil hexagonal en promouvant invariablement une écrasante domination des Etats-Unis, à peine nuancée, dans le haut du classement, par les poussées d’Oxford et de Cambridge. Le Japon et la Suisse tempèrent également un peu cette hégémonie mais la surpuissance américaine ne souffre guère de contestation.



Dans le barème d’évaluation de l’université de Jiao Tong, à la base du classement de Shanghai, il n’est question que de chiffres, de quantités. Soit. On peut cependant relever une étonnante concomitance entre la qualité physique des campus et des bâtiments et la réussite académique qui s’y joue. Les registres sont différents mais la somptuosité classique d’Harvard et de Yale, l’extraordinaire bâtiment (Stata Center) qu’a réalisé Franck Gehry pour MIT, les campus spacieux et solaires de la Californie (Stanford en tête), ont en commun une vraie magnificence. Elle n’est pas qu’un supplément d’âme, encore moins une marque d’arrogance – ce qui peut être le cas des buildings démesurés de quelques multinationales. Cette magnificence incarne l’excellence et l’ambition. Elle favorise  la motivation de ceux qui souhaitent intégrer ces structures, qui y travaillent ou collaborent avec elles. Quand on voit les travaux récents de neurologues comme Pierre Lemarquis (Portrait de l’artiste en cerveau, Odile Jacob, 2012) sur l’importance du sentiment esthétique dans la stimulation intellectuelle, on comprend qu’un tel cadre architectural est loin d’être anecdotique. Ces institutions conservent par ailleurs souvent de riches collections d’art mais il s’agit là d’un atout d’une autre nature, qui ne gâte cependant rien...

C’est peu dire, en tous les cas, que la France est, dans ce domaine aussi, terriblement déficitaire. Les universités, les grandes écoles et les grands établissements, dans les champs de l’enseignement supérieur et de la recherche, rivalisent de banalité, de morosité, voire de laideur – ceux qui fréquentent l’université Paris-Ouest ou l’EHESS ne démentiront pas... Manque de moyens et de talents ? Bien sûr que non. A l’aune du soin, de l’approche presque sacrée dont sont l’objet certaines infrastructures culturelles (comme celles mentionnées plus haut), impossible de croire ça. Il y a donc un énorme chantier architectural et artistique à conduire dont la fonction ne sera pas seulement décorative, ornementale, mais sociale : revaloriser les acteurs de la recherche, l’identité étudiante, le quotidien des personnels besognant sur place. Améliorer l’estime de soi de ce monde-là ne serait certainement pas un « luxe », comme le voudrait le lieu commun. Cela passe par le prise de conscience que l'art est un métier, un vrai, nécessitant d’interpeler les meilleurs créateurs et non des anciens élèves ou des peintres du dimanche.   

D’aucuns rétorqueront que ce n’est pas en investissant de la sorte qu’on s’assurera une meilleure place dans le classement de Shanghai. Certes. Mais à ceux-là qui ne jurent que par les palmarès internationaux, disons que c’est peut-être au moins des chances en plus de récolter un nouveau prix Pritzker…