L'Université du XXIe siècle doit faire appel aux artistes contemporains


Par Jérôme Poggi

Longtemps tenue en marge du système culturel, l’université française pourrait-elle en devenir le centre, pour reprendre la formule par laquelle Frédéric Martel a mis en évidence le rôle central des campus américains dans l’édification de la puissance culturelle transatlantique ?

L’art contemporain doit jouer un rôle fondamental au sein des espaces académiques, dans une perspective non seulement pédagogique mais aussi symbolique et stratégique. Pédagogique d’abord, nul ne pouvant faire l'impasse sur un outil aussi puissant que l'art contemporain pour appréhender le monde d'aujourd'hui et de demain dans toute sa complexité, pour interroger, deviner, sinon comprendre la société dans laquelle nous vivons et inventer son avenir. Pour une population d'étudiants, de chercheurs et d'enseignants atteignant un niveau d'études et de recherche aussi élevé, et appelés à occuper des responsabilités futures importantes pour la société, l'art est une nécessité en tant que stimulation et développement intellectuel qui exige de mettre en relation la sphère universitaire avec celle artistique la plus élevée.

Symbolique ensuite tant les institutions françaises d'enseignement supérieur souffrent d'un déficit d'image manifeste dans un contexte mondialisé de plus en plus concurrentiel. Est-ce vraiment un hasard si les meilleures universités du classement de Shanghai sont aussi les plus pourvues en art ? Leur ambition et leur excellence sautent littéralement aux yeux quand on traverse leur campus. Nul besoin de long discours pour saisir l'intelligence qui y règne. Elle s'incarne de façon tangible et visible dans leur environnement physique et symbolique. A l'heure où l'enseignement supérieur français connaît une révolution sans précédent, ses institutions sont confrontées à des questions d'identité nouvelles, nécessitant le renouvellement de leurs codes de représentation symboliques et rituels que des artistes peuvent réinventer de façon fulgurante, qu'ils soient plasticiens, architectes, designers, écrivains, chorégraphes, metteurs en scène, musiciens. L'université du XXIsiècle doit faire appel aux artistes contemporains pour fonder non pas seulement son image, mais aussi donner forme à son identité même.



Enfin, si l'art dans sa forme la plus contemporaine est une nécessité pour les universités et grandes écoles, il est réciproquement vital pour la scène artistique d'activer le rapport à l'art d’une génération qui occupera à très court terme des responsabilités économiques, industrielles, financières, mais aussi culturelles, dont il faut attendre une participation active dans l’économie artistique (en tant que mécènes, collectionneurs, commanditaires, amis de musée ou de centre d’art, etc.).

Parce qu’il réunit dans une même sphère un appareil critique, économique et culturel, l’espace académique offre les conditions idéales pour générer un cercle vertueux et produire dans un même élan les créateurs, amateurs, professionnels de demain. Comme l’ont fait les universités anglo-saxonnes dès le XIXe siècle en s’appuyant sur un modèle culturel essentiellement muséal qu’on ne pourrait reproduire comme tel ex nihilo, l’université française, voire européenne, pourrait bien contenir le ferment d’un modèle d’économie culturelle résolument contemporain, renouvelant nos schémas politiques pour lier l’art et la société dans une logique active et productive. Reste à en prendre conscience et à le cultiver.

Tel est le sens de cette chronique initiée voilà bientôt deux ans dans le Quotidien de l’Art, et qui se prolonge aussi à partir d’aujourd’hui sur Internet, avec le blog Ars Contemporanea Ad Universitatis.

Jérôme Poggi
Chronique parue dans le Quotidien de l'Art le 10 janvier 2014