La galerie de portrait de Yan Pei-Ming au CROUS de Dijon : un témoignage humain.

Sollicité dans le cadre des "Nouveaux commanditaires" en 1992, Yan-Pei Ming a décoré la grande salle du restaurant universitaire Maret d'une galerie de dix portraits monumentaux commandés par les membres du personnel du restaurant.

Depuis des décennies, parfois des siècles, les grandes universités anglaises et américaines ornent leurs murs de portraits : photographies de promotion pour les salles communes, portraits des professeurs émérites, souvent académiques, pour les salles de l’administration. Ce sens du cérémonial et de la tradition pourrait prêter à sourire, s’il ne sous-tendait  un esprit de corps, un attachement à faire du cursus universitaire, bien plus qu’une simple ligne dans un Curriculum Vitae, une période de la vie de l’élève, presque une part de son ADN.

Cette tradition cristallise l’importance cruciale de la représentation pour l’individu. Exister en étant avec les autres, exister aux yeux des autres, est une façon de se construire dans un contexte social et, par là-même, de construire une société. Ces portraits ont deux vertus : ils lient officiellement l’individu à l’université qui l’a formé et, en contrepartie, ils font de cette université, plus qu’une simple institution, une communauté de destins.


Ainsi, à l’origine de l’œuvre Le meilleur travailleur du CROUS de l’artiste sino-français Yan Pei-Ming, se trouvent une nécessité simple : les employés du restaurant universitaire Maret, à Dijon, souffraient d’un déficit d’image aux yeux de ceux à qui ils servaient anonymement des repas quotidiens. N’existant au sein de la communauté universitaire que par une fonction ne leur permettant pas de prendre part aux deux corps principaux (enseignant et étudiant), c’est à un problème de représentation qu’ils étaient confrontés.

Face à un tel besoin, Xavier Douroux, codirecteur du Consortium agissant comme médiateur de l’action des Nouveaux commanditaires de la Fondation de France, a proposé à un groupe de dix membres du restaurant universitaire de passer commande de leurs portraits à Yan Pei-Ming. Puisqu’il s’agissait d’une question de représentation et d’image, un artiste seul pouvait être capable de répondre à ce besoin identitaire et offrir à des personnes étrangères aux mécanismes du milieu de l’art ce qui a été pendant des siècles l'apanage des personnes instruites ou nanties, qu’elles soient princes, évêques, banquiers ou présidents d’université.

La galerie de portrait aux murs de la cafétéria du CROUS de Dijon
A ce contexte hors-du-commun, l’artiste répondra par une galerie de portraits, exécutés dans son style si reconnaissable -tenant à la fois de l’expressionisme (par la force du geste) et du classicisme (par sa rigueur thématique), avec un héritage photographique (l’usage du noir et blanc). Alors qu’il ne travaillait plus qu’à partir de photographies, cette commande lui permit de redécouvrir le rapport au modèle vivant, marquant un tournant dans sa carrière. Ce face-à-face, intime et violent, a depuis trouvé place dans sa pratique et nourrit toujours son œuvre, si profondément liée au regard de l’autre.

Ce qui frappe le plus dans ces portraits ? Une vivacité particulièrement exacerbée de la touche : ce que la figuration perd en précision, l’esprit le gagne dans la contemplation. Au lieu d’avoir proposé un simple trombinoscope du personnel du restaurant, Pei-Ming a élaboré un étrange défilé d’anonymes incroyablement intimes, de figures familières dans leur manque de définition : toutes un peu universelles, toutes un peu uniques aussi.

La série fut destinée à la salle du restaurant, de façon à ce que les élèves puissent reconnaitre les sujets, identifier l’individu et l’œuvre. Elle y est toujours installée, tout en ayant été inscrite à l’inventaire du Musée des Beaux-Arts de Dijon, témoignant de sa valeur désormais publique et patrimoniale malgré le contexte très personnel de la commande initiale.

Le portrait à l’université ne sert donc pas nécessairement qu’à tisser un lien indéfectible entre l’institution et l’homme. Au geste englobant de la photo de groupe, Yan Pei-Ming répond par la différenciation, par l’unicité. Le temps passant, le personnel du restaurant s’est renouvelé, mais les portraits demeurent comme un instantané d’une modeste congrégation disparue. Comme toutes les œuvres du passé, ils nous donnent à voir des hommes dont nous perdons peu à peu la trace, mais dont la présence se prolonge, toujours renouvelée.


Pierre Caron, novembre 2013


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