Design Thinking : à la recherche de l’étincelle créatrice

Par Pierre Caron


Le design thinking connaît aujourd’hui un essor en France, et son application se trouve au centre de nombreux programmes innovants mis en place par nos Grandes Ecoles. Qu’est-ce que le design thinking ? Un mode de pensée et une méthodologie visant le processus idéal de création d’un objet. Il propose de rechercher la nouveauté qui répondra à un besoin et pense, dès les prémices du projet, à sa conception, son dessin, sa fabrication, sa commercialisation et sa promotion. On peut résumer son principe par trois axes -empathie, créativité, rationalisme- et par un attachement tout particulier au dialogue, où chacun peut donner libre cours à son imagination.




C'est à l'Université de Stanford que fut développé le concept de design thinking

L’influence du design thinking sur l’enseignement supérieur français ne devrait pas nous étonner. Ce concept ne prend-il pas racine dans un contexte universitaire ? En effet, c’est à la D. School (école de design) de Stanford University que s’est formé le design thinking et surtout à travers son Joint Program in Design (établi en 1958 mais formalisé au cours des années 1960), un programme qui regroupe en son sein des cours d’ingénierie et d’art. Son point de départ est la pensée d’un design qui se concentre sur l’homme moderne et ses besoins quotidiens. Il a été progressivement développé, au cours des années 1960 puis 1970, par les professeurs de Stanford, dont Robert McKim, David Kelley, Rolf Faste et Matt Kahn.


On détecte aisément dans le design thinking l’influence du Bauhaus : les théoriciens de l’école de Weimar, émigrés au U.S.A., eurent une influence marquante sur l’architecture et le design américain dans l’après-guerre. On y retrouve l’idée de rencontre des arts et des techniques, en vue de construire un environnement social positif. Par ailleurs, si son découpage horizontal du travail (par des tentatives de séquençage des étapes et des tâches depuis la conception jusqu’à la réalisation) peut sembler hérité du taylorisme, le design thinking ne recherche pas pour autant le « one best way » de cette théorie du travail : l’efficacité du processus y est moins importante que l’ébullition créative. Ainsi, le désordre intellectuel, le dialogue, les propositions les plus surprenantes y seront accueillis, pour tenter de tirer le meilleur de chaque trait créatif humain.

Quid du design thinking en France ? A Marne-la-Vallée, l’Ecole des Ponts a développé une d. school (la Paris-Est D. School, dépendante du département génie industriel), qui promeut l’innovation « de rupture » à l’aide du credo (un peu jargonnant) du design thinking : inspiration, idéation, implémentation. Les étudiants sont en fait amenés à travailler en petites équipes multidisciplinaires, qui comprennent possiblement des étudiants d’écoles partenaires (par exemple, l’Ecole des Ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP) ou l’Ecole d’Architecture de la Ville et des Territoires), sur des projets concrets d’innovation pour des entreprises.

Empathie, Créativité et Rationalité : le mantra du design thinking
Les étudiants de la d. school participent également au cours international ME310, initié et chapeauté par Stanford. Au cours de ce programme, chaque équipe de quatre étudiants travaille sur un projet pour un partenaire industriel (Thales, Pioneer, Suez Environnement…) en dialogue avec une autre équipe, située dans une autre université du réseau ME310. « Empathie » est le mot d’ordre : un terme utilisé pour définir à la fois une certaine ouverture d’esprit aux idées les plus diverses, aux domaines de compétences étrangers mais aussi, comme l’explique la Doyenne, Mme Véronique Hillen : « une compréhension fine du contexte, de ceux pour qui on veut innover et de l’expérience qu’ils en ont ».

A Lyon, l’Ecole Centrale et l’EMLyon Business School ont créé ensemble un programme Innovation, Design, Entrepreneurship & Arts (IDEA). Le processus d’apprentissage est similaire : en plus de cours de sciences humaines, les étudiants sont amenés à travailler pratiquement sur des projets d’innovation. Les deux ans d’études sont donc rythmés par des stages et des projets, menés par des groupes d’étudiants venant de cursus divers. De nombreuses rencontres permettent également le développement de cet esprit « empathique » : architectes, plasticiens, chorégraphes, scientifiques, managers partagent leurs expériences avec les étudiants. Le but de cet alliage du créatif, de l’artistique, de l’ingénierie et du marketing est que chaque domaine puisse enrichir l’autre, que chaque point de vue individuel puisse faire vaciller les doxas des autres participants.

Si le design thinking est aujourd’hui remis en cause, aux U.S.A, par certains de ces anciens partisans (cf. Bruce Nussbaum, professeur à la Parsons New School for Design, qui juge que les entreprises ont assimilé cette pensée comme un simple processus applicable et efficace, en en niant l’aspect inventif et interdisciplinaire), celui-ci semble avoir de beaux jours devant lui. En 2014, s’ouvrira à Nice la Sustainable Design School, qui elle aussi promouvra l’apprentissage par la pratique pour des étudiants internationaux, et se spécialisera dans la recherche de solutions créatives à une des grandes préoccupations actuelles : faire entrer le grand entreprenariat français dans l’ère du développement durable.

Pierre Caron, août 2013


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