IDEA : l’art réunit sciences et Management à Lyon, par Jérôme Poggi

Par Jérôme Poggi

IDEA...les quatre lettres du nouveau Master in Science que l'ECL et l'EML ont inauguré en 2012 disent à elles seules l'originalité et l'ambition de ce programme : Innovation, Design, Entrepreneurship ...et Arts.


Comme on parle de fracture sociale ou numérique, on pourrait inventer le concept de « fracture académique » pour décrire le sectarisme dont fait encore souvent preuve aujourd’hui le système d’enseignement français, distinguant trop nettement les sciences dures d’un côté et celles dites molles de l’autre, ou, pour dire les choses autrement, opposant les sciences, les lettres et l’économie. Pourtant depuis quelques années, une tendance transdisciplinaire importée des Etats-Unis pousse des rapprochements de plus en plus naturels entre école d’ingénieurs et de management, qui empruntent parfois le raccourci de l’art pour se retrouver.

Dans la banlieue ouest de la capitale lyonnaise, à Ecully, cette fracture s’incarne très visiblement par la grande avenue Guy de Collongue qui sépare depuis plus de trente ans les deux campus de l’Ecole Centrale et de l’Ecole de Management de Lyon. C’est pour combler ce fossé que les deux écoles ont décidé de s’allier en 2009 pour créer une formation à cheval entre leurs deux champs de compétences. Baptisée initialement IDE pour Innovation, Design et Entrepreneurship, le projet s’inspire des théories de Design thinking, imaginée par l’université de Stanford en Californie dans les années 80. Conciliant pensée analytique et intuitive, le Design thinking privilégie le dénominateur commun entre toutes ces disciplines : la capacité créative à l’œuvre dans toutes les étapes du process.


A la différence de la plupart des formations pluridisciplinaires cherchant avant tout à cultiver la créativité de leurs étudiants, le projet lyonnais a tôt exprimé le désir d’associer directement l’art à son projet pédagogique au point de l’afficher ouvertement dans son intitulé devenu I.D.E.A., joli jeu de mot nous disant combien l’art est nécessaire pour donner forme définitive à la pensée. Outre sa pratique et son étude il s’agit pour son concepteur Renaud Gaultier de confronter les étudiants à l’œuvre d’art et à l‘artiste lui même. «  A la fois entrepreneurs et designers, philosophes et inventeurs, innovateurs et médiatiques, catalyseurs jusqu’au spectaculaire, les artistes ont beaucoup à apporter au management contemporain » considère-t-il, ajoutant que « l’art est aussi ici une forme ultime dans la prise d’un risque assumé ».

L’originalité de son projet a valu au « Master Science in Innovation, Design, Entrepreunship et Arts » d’obtenir le prestigieux label de formation innovante IDEFI décerné par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, assorti d’un financement de 6,7 millions d’euros réparti sur six ans, pour former des promotions de quatre-vingts élèves à terme.

Important dans le paysage universitaire français, ce budget reste néanmoins insuffisant pour prendre en charge ce supplément d’âme artistique qui fait toute la différence dans le projet pédagogique lyonnais. Surtout si on le compare au 70 millions de dollars que le rappeur Dr Dre vient d’offrir au même moment à l’Université Southern California pour créer une académie pour les arts, la technologie et la gestion des affaires dans l’innovation qui accueillera à l’automne prochain vingt-cinq étudiants.

En France, où nos artistes préfèrent s’exiler plutôt que faire acte de philanthropie, c’est la généreuse et ambitieuse Fondation Daniel et Nina Carasso, dont un des axes culturels est précisément le soutien à l’art et aux humanités dans l’enseignement supérieur, qui s’est engagée auprès d’ IDEA pour contribuer ensemble à combler cette fracture académique et artistique qui entrave la France dans sa capacité à se réinventer.

Jérôme Poggi, 31 mai 2013
Chronique publiée dans le Quotidien de l'art du 31 mai 2013