L'Université de Gand crée son propre musée

Par Jérôme Poggi


L'architecte et collectionneur belge Charles Vandenhove lègue sa collection à l'Université de Gand, ouvrant des perspectives nouvelles au devenir des collections privées et surtout à leur valorisation.


Coup de théâtre en terre flamande où le collectionneur et architecte belge Charles Vandenhove a finalement fait le choix de donner sa collection d’art contemporain à l’Université de Gand plutôt qu’au Bonnefante Museum de Maastricht où elle était pourtant déposée depuis 2007. Coup de génie également puisque par ce geste audacieux, sans précédent en Europe, l’architecte bouleverse la partition trop étanche entre musée et université. 

Maquette du futur Pavillon Vandenhove au pied de la Boekentoren 
 construite par Henry van de Velde en 1933-1938. 
Ce n’est pas un hasard si ce nouveau chapitre de l’histoire patrimoniale est inauguré par un architecte qui a toujours eu à cœur de lier l’art à son contexte. Que ce soit au Centre Hospitalier Universitaire de Liège où ont œuvré avec lui  Daniel Buren, Sol Lewitt, Claude Viallat, Niele Toroni, Olivier Debré, etc,  ou au Théâtre des Abbesses avec Daniel Buren à nouveau et Robert Barry, Charles Vandenhove fait partie des rares architectes à avoir toujours associé des artistes plasticiens à ses projets dès leur conception. C’est dans ces collaborations que se trouve d’ailleurs l’origine d’une collection qui s’est augmentée ensuite d’œuvres de contemporains de l’architecte tels Kiefer, Hantaï, Boltansky, Tapiès, Patrick Corillon, Luc Tuymans, etc.


Assez naturellement, Charles Vandenhove s‘est d’abord tourné vers le musée pour trouver une destination à cet ensemble qu’il avait réuni pendant près de quarante ans avec son épouse Jeanne. Mais comment additionner une collection privée à une collection publique telle celle de Maastricht, quelle place lui donner, quelle lecture en faire, quel sens lui donner ? Le musée consacra certes une salle à la collection mais ne permettant de ne présenter que les « chefs-d’œuvres » de la collection, sans lier entre elles les œuvres de splus importantes aux plus intimes, sans avoir les moyens d’étudier la collection comme phénomène, sacrifiant une histoire subtile du goût à une histoire opérante de l’art.

Au même moment, le département d’architecture de l’Université de Gand, qui préparait alors un ouvrage sur l’œuvre de Vandenhove, menait une réflexion sur l’histoire des expositions et des collections d’après-guerre, s’intéressant notamment aux musées monographiques d’artistes aussi bien que de collectionneurs. L’idée de léguer une collection d’art à une université n’allait pas de soi. Courante aux Etats-Unis où les universités disposent de véritables musées, elle est rarissime en Europe où les collections universitaires, nombreuses pourtant, sont plutôt scientifiques ou techniques, à l’exception notable des universités La Sapienza à Rome et d’Alicante en Espagne. « La vocation d’une université n’est pas de créer des musées », reconnaît Bart Verschaffel, philosophe et directeur du département d’architecture à Gand, « mais de faire de la recherche et de l’enseignement. Néanmoins, la zone de contact entre la culture vivante et la recherche est bien trop limitée actuellement. La donation de Charles Vandenhove offre un corpus exceptionnel, aux étudiants en architecture mais aussi en histoire de l’art et en art, à partir duquel pourra être développé un modèle pour étudier les collections privées ».

En plus de deux cents œuvres constituant la donation, Charles Vandenhove a offert un million d’euros qui financeront pour moitié l’édification d’un bâtiment qu’il a lui même dessiné, tel un socle supportant la fameuse tour aux Livres construite par Henri Van de Velde pour abriter la bibliothèque de l’université. Doté d’une petite salle d‘exposition de 250 m2 et de salles de séminaire, le pavillon Vandenhove fonctionnera comme un laboratoire, collaborant avec les musées voisins comme le SMAK ou le Dhondt Dhaenens Museum, pour devenir la pierre d’angle manquante entre institution muséale et universitaire.

Jérôme Poggi, 4 janvier 2013
Chronique publiée dans le Quotidien de l'art du 4 janvier 2013