Réouverture de la Yale University Art Gallery

Enseigne de la Société Anonyme Inc.,
peinture sur panneau, non datée,
Yale University Art Gallery
Par Jérôme Poggi


La Yale Art Gallery (New haven, Connecticut) est le plus ancien musée universitaire américain et aujourd’hui l’un des plus importants depuis sa réouverture le 12 décembre dernier, après huit ans de travaux et 135 millions de dollars dépensés pour rénover et agrandir ses espaces.


Initiée en 1832, soit trente ans après la création des musées de province français par l’arrêté Chaptal de 1801, la collection encyclopédique de Yale compte aujourd’hui plus de 200.000 oeuvres, soit trois fois plus que celle du Musée des Beaux-arts de Lyon pourtant l’une des plus richement dotées de France… L’origine de cette collection ne ressort pas d’une décision politique ou d’une logique idéologique comme ce fut le cas en France à la Révolution. Ce fut au contraire un acte commercial relevant d’une initiative individuelle qui fonda la collection universitaire lorsqu’en 1831 le peintre d’histoire américain John Trumbull, pourtant diplômé de Harvard, vendit à l’université une série de tableaux sur l’histoire de l’Indépendance américaine contre une annuité de 1000 dollars. Quelques années plus tard, en 1871, c’est une logique toute capitaliste qui enrichit de façon décisive la collection d’oeuvres laissées en caution par le diplomate James Jackson Jarves en échange d’un prêt souscrit auprès de l’université. La faillite de ce piètre spéculateur, mais excellent connaisseur, fit entrer dans la collection les chefs d’oeuvres italiens qui en sont aujourd’hui les fleurons avec des oeuvres de Duccio, Giotto, Raphael, etc… 


Capitaliste également, mais à la sauce Dada, la donation par Katerine Dreier de la collection constituée par la Société Anonyme Inc, ironiquement baptisée ainsi par Man Ray et Marcel Duchamp qui en fut également l’administrateur pendant dix ans. Officiellement inscrite au registre du commerce en 1920, la société réunit une collection considérable d’art moderne, constituée d’achats précurseurs ou de dons d’artistes motivés par Marcel Duchamp lui-même (Mondrian, Malevitch, Kandinsky, Miro, Schwitters, Arp, etc). En 1941, la donation de la collection au musée plaça d’emblée la galerie de l’université au premier rang des musées d’art moderne et contemporain, alors que le projet français de Musée national d’art moderne n’était toujours pas sorti des cartons à cette date.
C’est l’histoire légendaire de cette Société Anonyme que raconte l’exposition inaugurale de réouverture du musée. Une histoire sans tabou, mêlant avant-garde, capitalisme, philanthopie et formation des élites, dans un mélange “win-win” que savent doser les américains, reposant sur le cercle vertueux que le libéralisme peut parfois engendrer de façon exemplaire.
Car l’art appelle l’art à Yale. Depuis l’annonce du projet de renovation du musée en 1998, 57.000 oeuvres sont venues augmenter la collection déjà impressionnante de l’université. La plupart d’entre elles résultent de dons, souvent effectués par des anciens élèves de l’Université. Certains sont eux-mêmes artistes, comme ceux sortis de la prestigieuse School of Fine Arts de Yale, et ont souhaité offrir leurs propres oeuvres à leur université d’origine (Chuck Close, Peter Halley, Eva Hesse, Roni Horn, Robert Mangold, Brice Marden, Richard Serra, Jessica Stockholder, etc). Mais la plupart y ont étudié le droit, la médecine, le commerce ou l’environnement. De la même façon que le peuvent les 12.000s élèves étudiant sur le campus de New Haven, ces donateurs ont pu fréquenter librement dans leur jeunesse un musée implanté au coeur de leur quotidien et de leur formation intellectuelle, l’accès au musée étant historiquement gratuit. Formé à l’art autant qu’à la philanthropie par cette frequentation régulière, c’est au centuple que ces futurs amateurs rendent finalement plus tard au musée ce qu’ils y ont trouvé étant jeunes…